
Entrevue avec Hélène Boussard
Hélène Boussard est une infirmière qui a travaillé au sein de l'équipe médicosociale au centre hospitalier Fleurimont. Elle a décidé de faire une maîtrise sur les besoins de l'équipe de son centre désigné et de créer des outils pour soutenir son équipe. Nous avons discuté avec Hélène de son travail dans un centre désigné, des outils qu'elle a créés pour son projet de maîtrise et de l'attention qu'elle porte à elle-même.
Cet entretien a été édité par souci de concision et de clarté.
Gabrielle : Bonjour, Hélène, pouvez-vous nous présenter et indiquer votre profession ?
Hélène : Je suis infirmière... Je suis diplômée en France depuis 2012. J'ai travaillé trois ans en France aux urgences. Ensuite, je suis arrivée à Sherbrooke et j'ai pris un poste de conseillère en soins infirmiers à partir de 2016, poste que j'occupe encore. Mais ça fait deux ans que je suis aux études à temps complet. Je fais de l'intervention médicosociale depuis 2020.
Gabrielle : Comment vous êtes-vous impliquée dans le centre désigné à Fleurimont ?
Hélène : En 2020, je revenais de mon deuxième congé de maternité et on était en pleine pandémie. J'avais une rage de travailler et je suis tombée, dans la presse, sur l'article d'une jeune femme qui s'était présentée à l'urgence de Fleurimont et qui n'avait pas eu accès à l'intervention médicosociale. À ce moment-là, je ne connaissais rien de l'intervention médicosociale. Je ne connaissais rien de cette prise en charge, mais je me suis dit que ce n'était pas possible qu'en 2020 une personne puisse se présenter à l'urgence, ne pas avoir accès à ce genre de services et être reçue comme si ça n'était pas une priorité. On était en pleine vague #metoo, etc.
Donc comme je suis une personne assez curieuse et que je ne pouvais pas croire qu'il n'y avait pas un contexte qui expliquerait cette situation, j'ai posé quelques questions autour de moi. Personne n'était capable de me répondre. J'ai donc appelé directement la cheffe de service et je lui ai dit : « Je ne peux pas croire ce que je viens de lire. Pouvez-vous me l'expliquer...? » L’équipe était en grande pénurie de ressources. Le besoin était de trouver des infirmières qui peuvent faire le relais entre les différents partenaires du secteur médicosocial pour accompagner les victimes d'agression sexuelle. C'était un lundi. Le vendredi, j'étais en formation, le dimanche, je débutais ma première intervention.
Gabrielle : Alors, est-ce que c'est le même désir de comprendre et d'améliorer les choses qui vous a amené à faire un projet de maîtrise sur l'intervention médicosociale ?
Hélène : Oui. Quand j'ai débuté…je me suis rapidement rendu compte que ce que j'avais reçu comme formation à l'époque n'était pas suffisant. C'était une formation maison de 5 heures qui comprenait la visite de l'urgence, l'utilisation des outils cliniques, le logiciel, le fonctionnement du système de garde, la pagette, etc. Pas 5 heures d'accompagnement clinique des personnes victimes, mais 5 heures au total. On vit avec l'idée que les infirmières et les professionnels qui sont en première ligne peuvent absorber cette charge émotionnelle sans autre soutien que ça.
Gabrielle : Pour orienter votre projet, vous avez sollicité des infirmières avec quel objectif ? Et qu'avez-vous appris ?
Hélène : L'objectif des questionnaires, du groupe de discussion et des entrevues semi-dirigées était vraiment d'évaluer les besoins d'apprentissage de l'équipe.
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Je me suis rendu compte que l'équipe du centre désigné formait vraiment un portrait sociodémographique très hétérogène. On rencontrait des types d'emplois différents, des expériences différentes, et aussi des perceptions différentes de la pratique, laquelle pouvait être très concentrée sur le volet médicolégal par opposition au volet clinique et au volet psychosocial.
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Un deuxième point est apparu : il y avait une ambiguïté dans la perception que les gens avaient des mécanismes de collaboration professionnelle. Le protocole était assez flou par rapport aux rôles et responsabilités de chacun d'une part et, d'autre part, il n'y avait pas de profil de compétence qui y était attaché.
Donc, on savait plus ou moins ce que l'on devait réaliser ensemble. Mais qui fait quoi exactement ? Ça, on ne le savait pas et on connaissait mal aussi le champ de pratique de l'autre, ainsi que ses repères. Il est certain que les repères culturels d'un homme médecin urgentologue ne sont pas les mêmes que ceux de l'intervenante psychosociale qui travaille au CALACS et qui vient dans une salle d'urgence. Mais en ne connaissant pas bien nos partenaires, il est difficile de rendre les processus fluides. Ce sont dans l'ensemble les grands constats que j'ai pu faire en matière de valeurs et de motivations.
J'ai trouvé aussi des professionnels qui avaient vraiment à cœur de faire une différence. Même s'ils s'exposent à des risques en n'étant pas suffisamment formés et en continuant à traiter des dossiers, il y a toujours une volonté de rétablir une certaine justice sociale. Ça, c'était une constante.
Gabrielle : Dans le cadre de votre projet, vous avez créé un support de formation et des infographies pour votre équipe chez CH Fleurimont. Quelle a été la réponse ?
Hélène : Ça a été vraiment apprécié. Ce qu'elles m'ont dit explicitement, c'est qu'elles appréciaient l'aspect esthétique. Il y a une collègue qui l'a très bien exprimé dans l'un des témoignages qu'elle m'a écrits. Elle m'a dit que, du point de vue des infirmières, il y a une valorisation de la pratique qui est faite et qui ne relève pas seulement de l'implication intellectuelle, mais qui est vraiment une implication expérientielle, donc qui comporte aussi un aspect émotionnel. On ne parle pas juste de l'esthétique des outils, mais de la valeur qu'on accorde au travail de ces professionnels de la santé. Cela a dépassé mes attentes parce que moi, je me positionnais d'un point de vue cognitif. Je me demandais si l'outil avait du sens, s'il était utilisable. Cela venait surtout légitimer pour certaines l'importance de ce qu'elles font. Et cela donne le goût aux gens de s'engager encore plus.
Ce sont mes collègues et j'avais le goût de produire quelque chose qui répondait à leurs besoins, ainsi qu'aux besoins organisationnels. Il fallait donc que je sois dans un dialogue permanent et que je m'ajuste constamment. Le but était de développer des outils et des infographies à notre image, à l'intérieur du cadre imparti, tout en faisant en sorte que ça soit cohérent avec ce que l'on a envie de voir comme changement.
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Veuillez noter que le contenu de ces outils a été créé par Hélène Boussard pour le centre désigné du CH Fleurimont et qu'ils ne sont pas conçus comme des outils universels pour tous les centres désignés. Ils ne reflètent pas non plus les opinions officielles du MSSS ou de l'OIIQ.





Gabrielle : Absolument. Un des outils qui a été créé était une communauté de pratique locale pour CH Fleurimont. Pour ceux qui pourraient être intéressés par un tel projet, dans leur centre désigné ou dans leur région, quels sont les implications et les défis pour créer et gérer une communauté de pratique ?
Hélène : Un des défis qu'il ne faut pas sous-estimer, c'est certainement l'investissement que ça demande, notamment en temps. On doit considérer deux choses : la circulation des savoirs et, conséquemment, la production des savoirs. Mais comme c'est aussi un outil de gestion des connaissances, il faut une structure. Ça veut dire qu'il faut l'échafauder, puis l'alimenter avec des sources fiables. Il faut donc critiquer les données qu'on insère, tout en s'assurant qu'elles répondent à un besoin. Après un investissement initial permettant d'élaborer la structure, il faut la faire vivre. Si c'est juste déposé là et que ça ne vit pas, ça ne sert pas à grand-chose. Et ça, je pense que ça prend davantage de sens à l'intérieur d'une culture d'apprentissage. Culture d'apprentissage à vie. Ça ne se fait pas seulement avec une communauté de pratique, ça ne se fait pas juste avec un ou deux outils ressources. Vraiment, ça se travaille au quotidien, ce qui exige du temps.
Juste avant de vous parler, par exemple, j'étais en train de prendre le fichier pour l'approche affirmative et de le mettre dans la communauté de pratique. Alors, il faut que je mette un nouveau canal. Ensuite, je mets un petit mot dans le canal Nouveautés en disant : je viens de déposer ça. Et vous, qu'en pensez-vous ? Avez-vous des questions ? L'enregistrement, cela ne prend pas beaucoup de temps, mais pour gérer les réactions, etc., ça prend une quinzaine de minutes par-ci par-là. Et je suis persuadé que ça en vaut la peine.
Gabrielle : Je suis tout à fait d'accord avec vous. La première fois que vous avez contacté le Service-conseil, c'était en 2021 et vous aviez plusieurs types de questions à poser ; vous aviez des questions techniques sur un dossier, mais vous aviez aussi des questions sur la façon d'évoluer dans la problématique des agressions sexuelles, non seulement comme professionnel, dans votre travail, mais aussi comme membre de votre communauté capable de concilier ces deux aspects de votre humanité. Comment est-ce que les choses ont changé depuis 2021 ?
Hélène : Oui, ça a changé depuis 2021, c'est certain. Je vois deux grands leviers qui m'ont énormément aidé. Je ne dis pas que c'est maintenant rendu facile au quotidien et je ne dis pas que je ne vis jamais de défis ou des choses qui m'ébranlent, mais maintenant, j'ai quand même deux grandes ressources.
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La première dont j'ai déjà parlé, c'est vraiment d'être retourné aux études, d'avoir exploré la problématique, d'avoir remis du sens et du coup, d'avoir découvert des ressources, des pistes de solutions. Ça ne veut pas dire qu'en 2024, tout est parfait, mais il y a de l'espoir. Il y a de l'espoir à l'intérieur de ma discipline, dans la pratique de réseau et même dans d'autres dimensions que les soins ou l'accompagnement. Je pense par exemple à la justice réparatrice. Donc il y a vraiment des choses qui viennent suffisamment alimenter l'espoir dans les jours plus difficiles ou lors d'interventions plus difficiles, celles où j'ai le goût de brailler dans ma voiture en rentrant, pour que je sois capable de me dire quand même que la vie est belle.
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Le deuxième c'est vous, Gabrielle, qui m'avez mis le pied à l'étrier et m'avez rappelé que je n'étais pas seule. C’est pour ça que je me souviens encore de cet échange téléphonique qui me rappelait de ne pas rester seule, de me trouver des partenaires, de m'apercevoir qu'on est plusieurs à se poser des questions, plusieurs quelquefois à souffrir. Parce qu’accompagner les victimes d'agressions sexuelles n'est pas sans conséquence sur les intervenants. Le fait de m'apercevoir que je n'étais pas seule là-dedans et que je pouvais demander un coup de main et que je pouvais l'obtenir. Même s'il consistait uniquement à écouter, ça fait une différence de pouvoir me dire que je ne suis pas une mauvaise professionnelle parce que j'ai envie de pleurer après une intervention. Parce que j'ai peur dans la rue, parce que je suis inquiète pour mes enfants. Je suis une personne critique et empathique, capable de former un réseau autour de moi. Pour moi, ça a été tout à fait émancipateur comme apprentissage, même que ça a influencé positivement plusieurs aspects de ma vie.
Gabrielle : Je suis très heureuse de l'apprendre, Hélène. Alors, quelle stratégie recommanderiez-vous à d'autres personnes qui peut-être au début de leur trajectoire en intervention médicosociale ?
Hélène : C'est sûr que dans la formation initiale, puis dans la formation continue, il faut inscrire sa pratique dans une pratique de réseau, participer aux ateliers du Service-conseil, discuter avec ses collègues, débreffer, etc. Ce sont des points importants ! Sinon, il y a les autosoins qui me semblent vraiment importants.
Pascal Brillon a développé beaucoup de choses là-dessus, notamment des outils que j’utilise aussi. Je fais un bilan et j'ai ma vie là-dedans, donc je me mets des rappels pour prendre soin de moi aussi. Le but n’est pas d'être parfaite dans toutes les sphères, loin de là, mais de me dire comment j'aurais le goût d'alimenter ma sphère de bien-être physique, de constater, par exemple, que ça fait un temps que je ne suis pas allée au spa. J'ai peut-être envie de lire de la littérature, comme Jane Eyre, une incroyable histoire d'émancipation écrite par une jeune femme de 30 ans !
Gabrielle : Honnêtement, Hélène, l'idée que j'aime beaucoup c'est celle de mettre les autosoins dans nos horaires et de ne pas attendre trop tard. Par rapport à l'approche sensible aux traumatismes, c'est la préparation et la prévention.
Hélène : J'ajouterais même que c'est une question de cohérence avec les personnes victimes. On travaille beaucoup sur la régulation des émotions et justement sur la gestion du stress lié aux traumatismes. Finalement, c'est vraiment important que l'on soit cohérent avec soi-même. Puis, je trouve que si on ne le fait pas, ça nous replace nous-mêmes dans une position de victime. Alors que de ne pas prendre soin de moi et être peu disponible pour la relation souffrante rend difficile la reconstruction du lien social, lequel est brisé dans les situations d'abus sexuels. Je ne suis pas disponible à ça, parce que moi-même je suis en souffrance et moi-même je suis dans une position de vulnérabilité. Je ne peux pas faire un bon travail, sincèrement. Puis de savoir qu'on ne fait pas bien notre job, ça aussi c'est souffrant.
Gabrielle : Non, nous ne devrions pas être en situation de souffrance pour pouvoir effectuer notre travail, mais nous ne devrions pas non plus être coupés émotionnellement au point de ne pas pouvoir offrir de la compassion à nos patients.
Alors, Hélène, pour finir aujourd'hui, je tiens à dire que vous avez été l'un des premiers travailleurs sur le terrain à vous engager avec le Service-conseil d'une manière aussi significative et pour si longtemps. Même si le Service-conseil n’a aucune responsabilité dans ton succès, je suis très contente que l'on ait travaillé ensemble, contente de voir les résultats incroyables de votre travail et l'évolution de la personne avec qui j'ai parlé en 2021. Alors merci beaucoup !
Hélène : Avec grand plaisir. Quand vous dites « le Service-conseil n'a aucune responsabilité dans le succès », vous oubliez que dès le début, vous étiez là, ce qui a fait une grosse différence. Toutes les fois où j'avais des questions, j'ai obtenu une réponse, même si c'était une réponse orientée sur l'écoute ou sur la validation. J'ai toujours eu quelqu'un pour répondre. Ça fait une très grande différence dans l'engagement. Il n'y a pas de succès individuel sans succès collectif. Il n’y a pas de responsabilité sans coresponsabilité. Vous êtes donc également responsable du succès.
Gabrielle : Merci Hélène, pour ces mots aimables et pour m'avoir parlé aujourd'hui.

*Veuillez noter que le contenu de ces outils a été créé par Hélène Boussard pour le centre désigné du CH Fleurimont et qu'ils ne sont pas conçus comme des outils universels pour tous les centres désignés. Ils ne reflètent pas non plus les opinions officielles du MSSS ou de l'OIIQ.
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