
La chronique du pro: Roberta McLaren
— Entrevue avec un expert de l'intervention médicosocial en centre désigné —

Roberta McLaren est travailleuse sociale au Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal (CVASM) depuis plus de 15 ans. Son parcours professionnel a commencé avec un diplôme en sociologie et elle a travaillé en tant qu’adjointe administrative dans un centre d’accueil pendant environ 12 ans.
Qu’est-ce qui vous a encouragée à devenir travailleuse sociale?
Quand j’étais employée au centre d’accueil, c’est en voyant le travail des professionnels que je côtoyais que j’ai développé un intérêt pour ce domaine. Ça m’a donné le goût d’entreprendre des études en travail social. À l’époque, j’ai été acceptée à l’Université McGill dans un programme de 14 mois, donc un diplôme rapide. J’ai fait un stage au Batshaw (un organisme pour les services de protection de la jeunesse) et à la fin de mes études, j’ai postulé au CVASM. Je travaille ici depuis 2004. Mon but était de trouver un travail qui me permettrait d’aider les gens.
Parlez-nous d’un défi professionnel auquel vous avez eu à faire face au cours de votre carrière en centre désigné.
Ça fait un moment que je fais ce travail, et les plus grands défis sont liés à la collaboration avec les autres professionnels (médecins, infirmiers·ères et autres intervenants). On a l’impression qu’on est partenaires, qu’on travaille ensemble, qu’on fait partie de la même équipe… c’est ce qu’on souhaite, mais malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. On rencontre des victimes qui ont beaucoup d’obstacles et de défis. Pour une travailleuse sociale, c’est vraiment important d’avoir le sentiment d’être soutenue par une équipe.
J’ai eu une intervention avec une femme autochtone qui ne s’est pas bien passée il y a plusieurs années. Elle avait été amenée au centre par d’autres intervenantes blanches qui n’avaient pas expliqué le service. J’étais très nerveuse par la situation et j’avais de la difficulté à expliquer moi-même les services à la victime. Mon stress faisait en sorte que je parlais très vite et fort. Nous sommes tombées dans un cercle vicieux… la victime devenait de plus en plus énervée, et moi aussi. Nous n’avons pas pu finir l’intervention.
Après cette intervention, nous avons contacté l’organisme Module du Nord québécois pour demander du soutien et de l’information afin d’améliorer nos services aux personnes autochtones. Ça m’a beaucoup aidée à prendre confiance pour intervenir auprès de cette population. C’était un bel échange.
Après avoir effectué une intervention médicosociale difficile auprès d’une personne victime d’agression sexuelle, quel est votre moyen favori pour décompresser ou vous changer les idées?
Quand j’ai des interventions difficiles, je retourne auprès de mes collègues pour en parler. Une fois que j’ai décompressé avec mes collègues, j’aime rentrer à la maison et regarder la télévision.
Qu’est-ce qui vous motive à continuer de travailler auprès des personnes victimes d’agression sexuelle?
Ce travail répond à un besoin! C’est un gros défi au moment de l’intervention d’assurer que la victime a accès aux services de base, sur le plan médical aussi, et de lui donner du soutien. On constate pendant l’intervention l’importance de ce travail. Le service doit continuer d’être accessible. Malgré la sensibilisation aux violences sexuelles, il y aura toujours des victimes qui auront besoin de ce service.
Je n’ai jamais pensé à changer de travail et l’atmosphère du centre [CVASM] m’aide beaucoup à vouloir continuer. J’ai beaucoup de soutien de notre directrice, Dèby Trent.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un commençant à effectuer des interventions médicosociales dans un centre désigné?
Quand on fait une entrevue d’embauche, on demande à la personne candidate si le sang ou les saletés la dérangent, si recevoir des appels en pleine nuit pendant une garde serait un problème. On lui demande aussi, si un médecin ou un policier ne croit pas la victime ou doute de sa crédibilité, comment elle va gérer la situation. Si cette personne passe le test de l’entrevue, c’est un bon début. C’est un travail très exigeant physiquement et psychologiquement, et il n’y a pas de gloire. Il faut savoir ça en partant.
Ça peut paraître exotique comme emploi : « Être intervenante en agression sexuelle, être à l’hôpital et travailler avec des médecins, cela semble excitant, stimulant et épanouissant ! » Mais quand vous le faites, ce n’est pas comme ça. Ce n’est pas glamour du tout. Il faut être préparé à la réalité du travail.
Sur une note plus personnelle…
Les derniers bons livres qu’elle a lus :
• I Know Why the Caged Bird Sings de Maya Angelou
• So You Want to Talk About Race d’Ijeoma Oluo
• Reckless: My Life as a Pretender de Chrissie Hynde
Les livres qu’elle lit en ce moment :
• One Last Stop de Casey McQuiston
• L’Agent secret de Joseph Conrad
Le livre qu’elle a tenté de lire, mais a abandonné :
Ulysse de James Joyce (à deux reprises!)
Les derniers bons films qu’elle a vu :
Le Lauréat (1967) et Le Docteur Jivago (1965)
Sa chanson préférée : la chanson qui joue à la radio dans la voiture.
Sa citation préférée :
« I try not to judge people, because if I did I wouldn’t have any friends » (J’essaie de ne juger personne, parce que si je le faisais, je n’aurais pas d’ami·e·s.) – Ed Wood, 1994.